Résumé exécutif
Cette étude vise à comprendre les perceptions, les formes, les origines et les conséquences de la stigmatisation liée à la Covid-19 dans le contexte ivoirien. La démarche de recherche a privilégié l’approche qualitative avec des entretiens individuels et collectifs auprès de 156 participants, mobilisés sur cinq sites d’intervention du projet Breakthrough ACTION à Abidjan, la capitale économique, où l’on dénombre le plus grand nombre de cas d’infection.
Il ressort des analyses que :
- Les perceptions de la Covid-19 largement répandues au sein de la population sont teintées de connaissances approximatives et d’idées fausses qui enferment la maladie dans trois conceptions principalement : une maladie i) qui ne se transmet qu’aux occidentaux, ii) qui se prévient ou se traite par des décoctions localement fabriquées, et iii) qui, en réalité, n’existe pas en Côte d’Ivoire.
- Six principales formes de stigmatisation ont été catégorisées selon les acteurs impliqués soit comme victimes (personnes stigmatisées), soit comme auteurs (porteurs de stigmatisation). Ce sont : i) la stigmatisation des survivants et patients Covid-19 dans tous les univers sociaux (famille, lieu de travail, voisinage, cercles d’amis, etc.), ii) la stigmatisation des proches des patients Covid-19, iii) la stigmatisation subie par les prestataires de santé, iv) la stigmatisation portée par des prestataires de santé, v) la stigmatisation par défaut, et vi) l’auto-stigmatisation du patient Covid-19. Si les attitudes stigmatisantes à l’égard des patients guéris ont été beaucoup rapportées par les participants à l’étude, elles finissent par s’étioler avec le temps à mesure que les idées fausses sur la Covid-19 et l’impression que la maladie ne constitue pas une menace importante en Côte d’Ivoire se répandent au sein de la population. Ce, d’autant plus que cette impression se conjugue avec l’augmentation du nombre de guéris, et la stagnation du nombre de morts selon la communication journalière officielle des autorités sanitaires.
- A l’origine de la stigmatisation, figure surtout la peur de la contagion observée dans la population générale (proches, familles, communautés d’une personne infectée ou survivante de la Covid-19) mais également chez les prestataires de santé.
- Les conséquences psycho-sociales de la stigmatisation pour les victimes, quelle qu’en soit la catégorie (survivants de la Covid-19, proches de survivants, proches de personnes décédées de la Covid-19, personnel soignant) s’étendent au-delà de l’épisode de la maladie et de la convalescence. Le poids de la stigmatisation pour les victimes dure donc longtemps. Ainsi, la peur de la stigmatisation suscite, dans certains cas, un déni de la maladie de même qu’une réticence à la fréquentation des centres de dépistage et au respect des normes de prévention (mesures barrières, distanciation sociale, port des masques, etc.).
Pour améliorer les perceptions de la Covid-19 dans l’imaginaire des populations, lutter contre les formes et les causes de la stigmatisation liée à cette pandémie et atténuer ses effets, il est recommandé :
Aux autorités sanitaires de :
- Réimprimer et augmenter les risques perçus liés à la Covid-19 dans l’imaginaire des populations par une redynamisation de la communication sociale autour des mesures barrières comme seules mesures efficaces pour mitiger ces risques et pour protéger ses proches.
- Reconstituer le capital confiance des populations envers les centres d’accueil/dépistage Covid-19 en particulier et le système de santé en général, mais également envers le Gouvernement via la communication et la mobilisation communautaire, en vue de booster la fréquentation desdits centres.
- Développer des mesures d’accompagnement telles que la mise en oeuvre d’un programme d’assistance morale et spirituelle dédié aux personnes infectées par la Covid-19, aux survivants et leurs proches, victimes de stigmatisation pour les aider à en atténuer l’impact.
Aux partenaires techniques/financiers et aux organisations non gouvernementales de :
- Déconstruire les idées fausses largement répandues au sein des populations y compris ce que signifie être guéri, et certifier socialement la réalité de la maladie à travers une approche de communication multicanale et une série de mesures dont : i) des témoignages impliquant des figures connues et influentes parmi les survivants de la Covid-19 au sein des communautés, ii) l’extension des « certificats de guérison”, iii) la mise en évidence des déviants positifs comme modèles, etc.
- Promouvoir, par l’information et la sensibilisation au sein des communautés, un modèle d’interactions sociales non stigmatisantes fondé sur trois piliers : i) l’appropriation des connaissances avérées et objectives sur la Covid-19, ii) la prise de conscience du risque élevé de contamination que le respect des mesures barrières atténue considérablement, iii) la mobilisation des connaissances avérées et du respect des mesures barrières comme ressources principales d’investissement dans les rapports sociaux quotidiens aussi bien avec les cas suspects et les survivants Covid-19 que leurs proches, de même que le soutien social constant envers les malades en vue de faciliter leur réintégration dans la communauté.
- Promouvoir par la sensibilisation au sein des communautés et des prestataires de santé, l’importance du soutien social envers les malades de la Covid-19 et leurs proches en rappelant que ces derniers ne doivent pas être abandonnés mais plutôt être assistés dans le respect des normes de sécurités biomédicales.
En plus de ces recommandations portant spécifiquement sur la lutte contre la stigmatisation liée à la Covid-19 (objet de la présente étude), il importe, pour les autorités sanitaires avec l’appui des partenaires techniques et financiers, de prendre quelques mesures d’accompagnement pour lutter contre la propagation de la maladie elle-même :
- Renforcer le plateau technique de la riposte contre la Covid-19 y compris des mesures d’accompagnement telles que i) l’augmentation des effectifs et la rotation du personnel de santé en vue de garantir une meilleure efficacité dans l’action, ii) un soutien moral aux prestataires de santé pour affermir leur force psychologique et leur motivation à poursuivre le combat contre la Covid-19, iii) la mise en place d’un cadre de collaboration transparent dédié spécifiquement à la Covid-19 entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle pour la promotion de la prévention et pour la référence des cas suspects.
- Amorcer une communication hâtive et active autour de la vaccination contre la Covid-19 pour clarifier : i) comment un vaccin a pu être développé en si peu de temps, ii) le processus de sa validité et iii) son efficacité tout en insistant sur le fait que le vaccin est administré à titre préventif (pour prévenir la maladie) et non curatif (pour traiter ou guérir la maladie).
- Reconnaître officiellement les obstacles économiques à la mise en oeuvre des mesures de protection et initier des réponses efficaces pour les surmonter.